JB Vatelot

Accueil > Parutions de l’ancien site > LYCEE GENERAL ET TECHNOLOGIQUE > Archives > Texte poétique 2, le retour

Une lecture analytique de l’auteur par lui-même.

Texte poétique 2, le retour

Comment comprendre la poésie ?

mardi 4 février 2003

Dans le cadre de l’EAF (l’épreuve anticipée de Français du Bac en classe de première), les élèves sont confrontés à des explications de textes, poétiques ou non. L’examen oral qui a lieu à la fin de l’année permet justement d’évaluer les capacités du candidat à rendre compte de sa lecture et à organiser avec méthode son repérage et son analyse,qui se veut fine et pointue. Mais parfois, devant certaines interprétations, le doute subsiste, le mystère s’épaissit alors qu’il s’agirait, au contraire, d’ôter le voile ténébreux qui recouvre l’écriture, pour accéder à la Vérité de l’oeuvre. La question se pose alors (souvent entendue en classe) : Etait-ce bien ce qu’avait pensé et imaginé le poète, lorsqu’il écrivit ces quelques mots à l’encre noire ? Allez donc demander à Victor Hugo ou à Paul Verlaine de justifier leurs choix thématiques et stylistiques, vous serez alors bien embêtés, penchés sur leur tombe.
Cette remarque audacieuse ne discréditerait-elle pas le rôle des professeurs de lettres, qui en se voulant des guides, finissent par vous perdre dans un labyrinthe de connaissances, de notions et de techniques littéraires mal maîtrisées ?
Aussi, et en exclusivité mondiale, l’auteur du poème ci-dessous (que vous avez déjà pu apprécier sur cet écran) se livre à un commentaire de sa propre oeuvre. Pour éviter de tomber dans le piège d’une subjectivité envahissante, un professeur de lettres (que nous ne nommerons pas, car il veut encore enseigner de longues années) s’est permis quelques annotations supplémentaires du meilleur goût pour éclairer le texte. Un bel exemple en quelque sorte d’une association réussie qui, nous l’espérons, fera des émules.

Voilà, à la base j’ai fait cette explication du poème pour un ami qui avait un peu de mal à saisir les nuances subtiles de mon modeste texte. Mais je me suis aperçu, une fois cette explication faite, que je comprenais mieux moi-même ce que je voulais réellement dire , et qu’il était très intéressant que j’exprime avec mes mots ma propre vision des choses, car l’écriture, on le sait, autorise une multitude d’interprétations et d’idées parfois contradictoires.

- J’aime la vodka et tout ce qui se boit,

L’utilisation récurrente du pronom personnel "je" place le poème sous le registre du lyrisme. Dans ce premier vers (pas celui que l’on boit), on voit nettement que l’auteur, inspiré par sa muse venimeuse, avoue un penchant radical pour l’alcool. Cet élément est renforcé par le passage du particulier au général (la, puis tout). La vodka est fortement connotée comme étant une boisson des pays de l’Est. Notre homme est peut-être un nostalgique du « Rideau de fer », période Brejnev, ou bien, tentant de nous égarer plus encore, il veut nous faire ressentir le poids nostalgique de ses origines ukrainiennes (ceci n’est qu’une hypothèse de lecture, il faut s’en tenir aux faits observables après tout).

- En jaune ou en vert pourvu que ce soit dans un verre.

On peut même se rendre compte qu’il en est dépendant, car peu importe ce qu’il a dans son verre, pourvu que ce soit de l’alcool. Nous pouvons suggérer que l’abus de cet alcool provoque chez lui des hallucinations, son ivresse naissante ne lui permettant plus d’identifier correctement les couleurs. Un drame, quand on y songe ! Et dire qu’on appelle cela de la poésie…

- Amant de mon gosier, petite mousse dans ton habit vert,

Ici, il dit "amant de mon gosier", car c’est comme si l’on créait une étreinte passionnelle avec l’alcool que l’on boit car il soulage de tous les maux. C’est encore à cause de la dépendance extrêmement forte. L’alcool est assimilé à un compagnon galant qui ne refuse aucune séduction pour plaire. En minimisant son pouvoir, on le rend terrifiant (peut-être une attaque contre Lucifer lui-même, allez savoir…). La "petite mousse dans ton habit vert", c’est tout simplement une métaphore pour désigner une bière. C’en est presque affectueux, ça vous tire des larmes, car la beauté est indicible, n’est-ce pas ?

- Ne me tente pas, reste sur ta petite table en bois.

Le personnage essaye de résister à l’appel de l’alcool qui est comme la plainte du loup le soir à la pleine lune (bah, oui...), encore et toujours à cause de la dépendance affreuse qu’il subit malgré lui. La question demeure métaphysique : comment échapper à sa destinée ? Y a-t-il un libre arbitre possible ? Quel est le sens de la vie ? A quelle heure est-ce qu’on mange ?

- Ni toi, ni ta grande soeur, la liqueur

Ni "toi", bière mousseuse et légère comme un nuage, ni aucun autre type d’alcool... Le lien de parenté renforce l’idée d’une coalition contre le poète. Il a toute la famille sur le dos !
On remarque aussi que le minibar est drôlement bien fourni.

- Entraînera mon esprit dans ce malheur.

« Entraînera ma perte et mon malheur », perte de sa famille, de ses amis, de son cabriolet flambant neuf, etc… et tout ce qui tourne autour de ce sujet quand on est trop dépendant. Le personnage veut donc lutter car il a pleinement conscience du danger qui le guette. Le malheur, finalement, on se le fait soi-même. Cruelle réflexion et beauté de la poésie qui sous son apparente fragilité vous pousse plus que jamais à refaire le monde…

- A table, tu me regardes ironiquement ;

L’auteur est tellement paranoïaque, à cause de l’alcool qui altère sa perception, qu’il voit la bière comme une personne (en même temps c’est très pratique quand on est seul, et qui sait, une bière a peut être beaucoup de conversation !). En français, dans le jargon stylistique et littéraire, on appelle cela une personnification. Cela permet de rendre vivant ce qui ne l’est pas, créant ainsi des images à la portée hautement symboliques. Si, si.

- Laconique, je suis devant ce tyran.

Il est timide devant l’empire de ce tyran, de ce despote imposant, vestige lointain d’une monarchie écrasante, sa détermination est inexistante à ce moment précis (ici le tyran, c’est la bière qui impose sa volonté, elle est puissante devant le protagoniste qui se demande si cela va durer encore longtemps, parce qu’il commence à faire très chaud, et sa gorge toute desséchée réclame une gorgée de bonheur liquide, juste une !).

- Capricieux, je suis devant ce manant.

Il fais des caprices comme un enfant gâté, ce qui laisse à penser que le personnage devrait être au lit à cette heure tardive plutôt qu’à hésiter entre boire ou ne pas boire, car il redemande de l’alcool encore et encore, jusqu’à n’ en plus pouvoir (ici manant signifie bière ridicule, donc il fait ce qu’il veut, par conséquent il y a un contraste : tantôt elle est plus forte que le héros, tantôt, c’est le héros qui la maîtrise). Ce combat incessant n’est pas sans évoquer celui des Dieux de l’Olympe contre la raison humaine. La référence, bien que gratuite, a le mérite d’attirer la sympathie du correcteur qui s’étonnera qu’on trouve encore des jeunes qui connaissent leurs classiques.

- Ouvrant sa tête, elle lance un cri de déchirement.

En fait, le personnage décapsule la canette de bière (avec les dents pour faire plus viril) et cela provoque un bruit bizarre et inquiétant, d’où le cri de déchirement, mais n’oublions pas encore que la canette est personnifiée, elle lance donc dans le poème un long cri d’agonie, semblable au râle d’un mourant. C’est tout un champ lexical qui s’ouvre pour l’étude.

- Oui, je suis un meurtrier, mais c’est sa volonté !

Après les observations et l’attente prolongée, les actes arrivent enfin. Le héros vient de tuer par décapitation quelqu’un (en fait ce n’est qu’une canette, ce n’est pas un assassin), mais c’est la canette, par son pouvoir hypnotique, qui a voulu subir de son plein gré cette violence macabre.

- Liant mes neurones au reste de son corps

Il ne réfléchit plus, il survit, il n’essaye même plus de comprendre ce qu’il vient de faire et cela à cause de son geste choquant (car il la considère comme une personne, et oui, il ne faut pas perde le fil conducteur, c’est la clé de toute étude littéraire réussie).

- Il me dit de boire son sang jaune, lui le mort

Le mort, c’est la canette décapsulée, et son sang jaune est en fait de la bière qui est ici considérée comme le sang de la canette. Les métaphores deviennent subtiles et sibyllines, et la dérision sur ses propres actes ne fait plus aucun doute. Voilà qui dédramatise la situation. Ouf, on respire…

- Qui pour ma santé, a voulu se suicider.

La canette se laisse mourir pour que le personnage puisse la boire afin d’atteindre le sommet des voluptés éthyliques.

- Utopie brève, ce n’est qu’un rêve,

Le rêve passe vite, et après cela se complique…

- En me réveillant, c’est là que je demande une trêve.

Car il se réveille avec un mal de tête affreux, et il demande une pause pour soulager cette souffrance intolérable. Nous pouvons suggérer qu’il regrette sa soirée étant donné qu’il en sort dans un sale état. C’est vrai, quoi, boire n’arrange rien, et côté séduction, un vrai désastre, il faut bien le dire à la jeunesse de ce beau pays.

En conclusion, nous pouvons dire que ce poème est le reflet d’une société qui cherche à se déculpabiliser de ses actes, en invoquant une passivité trop grande pour résister et la domination envoûtante de certains biens de consommation. La faute à la télévision et à la publicité, n’est-ce pas ? Poème engagé, sans aucun doute !

Merci pour la démonstration.